Histoire #2 - épisode 3
Dernière mise à jour : 12 avr.
Au moment où je sombre dans le sommeil, un détail me réveille. Mes lentilles. Je ne peux pas dormir avec mes lentilles et je n’ai rien avec moi pour pouvoir les enlever. C’est fou comme tout peut parfois se jouer sur un détail. Doucement je me relève. Appuyée sur un coude je te regarde dormir. Je sais que dans quelques minutes je vais m’extraire de la douce chaleur de ton lit et de ton corps.

La nuit est tombée. Je marche dans ce quartier de Boston que je commence à bien connaître. Je suis une fille de la ville. J’en connais les rouages, les quartiers à éviter et ceux dans lesquels je peux m’aventurer nez au vent. Je n’ai pas peur. Je marche seule au milieu de la rue. Il fait chaud. Je savoure ces quelques minutes de marche qui me ramène sur le campus où se trouve ma chambre. J’ouvre mes bras à la petite brise qui rafraîchit la nuit et lève mon visage vers le ciel. A cet instant, seule au milieu de la nuit, les yeux perdus dans les étoiles et un large sourire sur mon visage, le monde m’appartient.
As-tu déjà ressenti cela ? Cette sensation de liberté, de puissance, de plénitude. Quand il n’y a rien d’autre que ce que tu es en train de vivre. Pas de passé qui viendrait te faire ressasser de vieilles histoires. Pas de futur qui viendrait te faire t’inquiéter de ce qu’il pourrait se passer ensuite. Juste la plénitude de l’instant.
Allongée dans mon lit dans cette chambre que je partage avec une étudiante italienne, j’ai les yeux grands ouverts sur la nuit. J’ai enlevé mes lentilles, donc, et j’ai activé le mode cinéma. Tu connais ? C’est comme dans la chanson de Nougaro. Je visionne le film de ma soirée sur l’écran géant de ma mémoire. Scène après scène, les images et les sensations reviennent. Je souris, je frémis. J’ai cette capacité à ressentir les mêmes émotions et sensations par l’évocation qu’en les vivant en vrai. Joie et peine. Plaisir et souffrance. Tout est possible. J’ai comme un interrupteur interne qui me permet d’accéder à un mode virtuel dans lequel je ressens et vibre aussi intensément qu’en live. Après des années d’expérimentation, cela m’impressionne toujours.
La lumière du jour me réveille. Un œil jeté sur mon réveil me fait bondir hors de mon lit. J’ai cours d’anglais dans trente minutes. Je file sous la douche au bout du couloir. Ne pas oublier la clé de la chambre au risque de me retrouver enfermée dehors avec pour seule tenue ma serviette de bain. C’est arrivé à ma room mate. Grand moment de solitude. J’arrive essoufflée mais à l’heure dans la salle de cours. Heureusement j’ai pensé à prendre mon pull. Il fait 35 degrés dehors et 19 à l’intérieur. Nous sommes aux Etats-Unis, pays de la climatisation. Je me suis fait avoir à mon arrivée. J’ai attrapé un rhume dans une salle de cinéma glacée, maintenant je fais attention. Notre prof est jeune, sympa et motivé à nous faire progresser. Il y a des étudiants de toutes les nationalités et cela forme un joyeux mélange. Entre autres, quelques Coréens studieux pour qui la prononciation de l’anglais est un calvaire. Des Brésiliens au sens inné de la fête. Et un jeune Mexicain prénommé Victor Hugo (cela ne s’invente pas !) que j’ai adopté comme mon petit frère.
Et Bassel dans tout ça ? Je me doute que tu as envie de connaître la suite de l’histoire. Nous nous sommes revus plusieurs fois, moments volés entre ses différents jobs et mes cours. Jusqu’à ce qu’il fasse ses valises pour aller passer quelques semaines de vacances dans sa famille au Liban avant de reprendre les cours à la rentrée de septembre. Nous nous sommes quittés le cœur léger. Heureux de notre rencontre, heureux de notre enrichissement commun. Heureux tout simplement.
Chaque semaine de nouveaux étudiants arrivent des quatre coins du monde sur le campus, chaque semaine d’anciens s’en vont. Dans deux semaines ce sera mon tour, en attendant je profite. Hier nous avons fait un repas franco-taïwanais. Ayant peu de moyens à notre disposition, nous avons fait des croque-monsieur et des crêpes Suzette. Incrédulité des taïwanaises lorsque nous leur avons proposé de manger des « bite a man » !!
Parmi les étudiants que je fréquente depuis mon arrivée, il y a un petit groupe d’amis portugais. Deux garçons, une fille. Un peu sérieux de prime abord. A part Sandro, plus souriant et toujours partant pour une sortie. Est-ce le départ de Bassel qui me permet de mieux voir les personnes autour de moi ? Je passe de plus en plus de temps avec eux et apprends à les connaître. Nous nous entendons bien. Enfin, surtout avec Sandro. Très souvent nous nous retrouvons à discuter tous les deux en fin de soirée alors que les autres sont partis se coucher. Le lien se crée petit à petit. Naturellement.
Les jours ont passé, c’est ma dernière soirée. Ma valise est faite. Demain je prends l’avion pour rentrer à Paris. Je suis partagée entre la joie de retrouver ma famille et mes amis en France et la tristesse du départ. J’ai vécu ici deux mois de liberté totale. Je me serais bien vu rester plus longtemps.
Il est tard. Les heures se sont allongées. Je n’en peux plus de parler. J’ai besoin de dormir sinon je n’arriverais jamais à me lever demain matin. Il n’y a plus que nous deux depuis longtemps dans le salon du campus. Nous n’avons pas vu les autres partir. Tu me raccompagnes à mon immeuble. Nous restons devant la porte. Empêtrés dans nos hésitations. Nous n’en finissons plus de nous dire au revoir. Tu vois, comme dans ces opéras ou le personnage principal met vingt minutes à mourir. Au moment où je me décide enfin à ouvrir la porte, comme on saute dans le vide, tu poses ta main sur la mienne. Déclic. Je me tourne vers toi. Te regarde. Tu lis dans mes yeux le soulagement, l’envie, l’autorisation. Nous nous embrassons. Un baiser. Un seul. Quelques secondes. La porte de l’immeuble se referme derrière moi. Je monte cet escalier qui n’en finit pas. Je pleure. Persuadée de ne plus jamais te revoir. Sandro. Je suis loin d’imaginer qu’un an plus tard je poserai à nouveau mes lèvres sur les tiennes.
💛 🧡 ❤️
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Virginie
Photo de George Milton